Cette chronique fut rédigée afin d'être la première d'une série publiée par un journal de Rimouski. Avoir manifesté de l'intérêt pour ce concept, ce journal ne m'a pas donné de nouvelles. Comme je me base sur des sujets d'actualité tout en faisant de la recherche, je préfère que cette chronique soit publiée ici plutôt qu'elle dorme sur mon ordinateur. S'il y a demande, j'en publierai d'autres.Il y a déjà près de deux mois, j'ai posé mes pénates en sol nunavois et suis devenue temporairement une Iqalummiuq, c'est-à-dire une résidente de la capitale du Nunavut. Fondé en avril 1999 par la Loi sur le Nunavut, le plus jeune des territoires a choisi pour capitale sa plus grande communauté, la ville d'Iqaluit, anciennement connue sous le nom de Frobisher Bay. C'est ici que je passerai les prochains mois et tenterai de vous faire découvrir les réalités sociales du Nord dans le contexte particulier de cette ville de plus de six mille habitants.L'environnement En tant qu'éducatrice en environnement, mon premier regard sur la ville a porté sur les conditions écologiques particulières à cette région éloignée : l'eau, l'énergie, les ressources consommées et la gestion des déchets. La ville s'approvisionne en eau douce dans le lac Géraldine situé en amont de la communauté. En raison de l'isolement, il y a peu de sources de contamination des eaux de surface. J'ai moi-même bu de l'eau directement à la rivière du Parc territorial Silvia Grinnel situé à moins de deux kilomètres du « centre-ville ». Les eaux usées sont partiellement traitées par un simple étang de rétention (semblable aux champs d'épuration domestiques). L'énergie est produite de la même façon que dans mes Îles-de-la-Madeleine natales : une centrale thermique au diesel génère de l'électricité pour les besoins courants tandis que le chauffage est à l'huile, directement dans les maisons, ce qui évite les pertes énergétiques liées à la conversion de la chaleur en électricité. La production d'énergie éolienne a été envisagée, mais pose des problèmes d'ordre technologique en raison des vents violents de l'automne et des températures arctiques extrêmes. De juillet à octobre, les produits de consommation sont acheminés par cargo fluvial, lequel est déchargé sur des barges, en l'absence de port en eau profonde. Le dernier bateau cargo est d'ailleurs ancré en ce moment dans la baie de Frobisher. Le reste de l'année, tout est acheminé par avion cargo, surtout depuis Val d'Or et Ottawa. Enfin, les déchets sont empilés de l'autre côté de la baie, au-delà des réservoirs de carburant. Les contenant vides de boissons sont récupérées dans le cadre d'un projet-pilote prenant fin en décembre prochain et ne sera pas reconduit en raison des coûts très élevés par rapport à la réduction du volume de déchets (2 à 3 %), ce qui est compréhensible en regard de l'éloignement. Il est possible de participer à une initiative communautaire de compostage de déchets organiques domestiques moyennant une cotisation annuelle. Il y a moins de dix ans, les déchets étaient brûlés ponctuellement à ciel ouvert lorsque les conditions atmosphériques étaient favorables, mais cette pratique engendrait la controverse dans la population. Les déchets furent ensuite simplement triés sommairement puis stockés en piles de contenu mixte. Le site actuel est rempli au-delà de sa capacité depuis déjà deux ans. Il semblerait que la gestion des déchets solides soit un problème constant à Iqaluit. À vrai dire, j'étais surprise de découvrir que la communauté n'est pas pourvue d'un incinérateur à déchets. Il faut savoir que la technologie aidant, l'incinération d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle d'autrefois. L'augmentation de la température de combustion et le traitement systématique des fumées permettent de réduire et de contrôler les composés organiques volatils relâchés dans l'atmosphère. De plus, les incinérateurs modernes sont équipés de systèmes de récupération de la chaleur dégagée par la combustion des déchets, ce qui permet de produire de l'électricité. L'incinération n'est pas une sinécure, mais c'est à mon humble avis tout de même plus sécuritaire qu'un site d'enfouissement fonctionnant au-dessus de sa capacité avec des moyens techniques très restreints. C'est que, en plus de l'attitude « pas dans ma cour » des Iqalummiut, l'option de l'incinération serait trop coûteuse à l'échelle de la communauté, jugée trop petite. En regardant la « dompe » de loin, j'ai soupiré en me disant qu'il ne faudrait pas qu'un incendie s'y déclare... Ironiquement, c'est ce qui s'est produit le 24 septembre dernier, trois semaines exactement après mon arrivée. Les services d'urgence ont réussi à contenir le feu, c'est-à-dire à éviter qu'il ne se propage à la pile de déchets principale, mais ils sont bien incapable de l'éteindre. Le brasier pourrait brûler pendant des mois compte tenu du volume de déchets impliqué, et en l'absence d'expertise et d'équipement d'analyse de la qualité de l'air, il est impossible de connaître ce que seront les conséquences de ce sinistre. En attendant, les autorités appliquent le principe de précaution en recommandant aux citoyens de demeurer à l'intérieur, vitres fermées, lorsque le vent souffle la fumée vers les habitations et qu'une odeur est perceptible. Il convient de préciser que ce fait est plutôt rare, mais les écoles et les bâtiments du Gouvernement du Nunavut ont déjà été fermés deux jours d'affilée jusqu'à présent. Certaines personnes se plaignent de maux de tête et de nausées causés par l'odeur de la fumée, mais qu'en est-il vraiment du risque pour la santé ? Pour le moment, on ne peut rien faire d'autre qu'attendre et espérer.Cette chronique ayant été écrite il y a déjà quelques semaines, sachez que la brigade incendie a finalement éteint le feu du dépotoir le 28 octobre dernier.